Un quatuor de bandits tente de saboter une conférence internationale, ayant en tête d’assassiner plusieurs membres. Ils s’invitent donc chez un couple d’amis de Steed, car leur maison leur permet d’avoir une parfaite cible. Ils opèrent le couple, en plaçant une bombe dans leur gorge, dont le détonateur réside dans un briquet, puis ils assassinent leur domestique. La cohabitation commence. Or, c’est sans compter la présence de notre Avenger melonné, qui vient chaque année chez eux fêter Noël en février…
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Noël en février par Basile
ENVOYÉ LE 29 DÉCEMBRE 2005 |
Noël en février est mon épisode préféré avec Miroirs et Clowneries. J’ai toujours apprécié la saison 1968/1969, car certains épisodes sont peut–être les meilleurs de la série (Double personnalité, Clowneries, Pandora, Affectueusement vôtre, Le visage, Interrogatoires, L’homme au sommet, Jeux et je pourrais en citer d’autres !). Il y a aussi beaucoup de «déchets» dans cette saison mais, dans l’ensemble, c’est celle qui me donne le plus d’impressions, des émotions diverses et variées. Il y a une richesse folle dans la saison six. Les épisodes sont plus colorés ; je veux dire par là qu’ils ont des intonations différentes ; nous passons aisément d’un univers à l’autre, de manière tranchée, sans que la série perde pour autant tout ce qui fait son identité. Y compris dans cet épisode particulier, dans sa différence même d’avec les autres. Cet épisode détonne un peu par rapport aux autres saisons, mais il demeure logique par rapport à l’ensemble de la saison six, qui me semble emprunter des voies plus neuves ou différentes. «Originalité» est le mot qui désigne la saison six par rapport aux autres. Il est perceptible à quel point les scénaristes et réalisateurs ont cherché à ne pas faire de redites, sans pour autant toujours atteindre cet objectif ; six saisons représentent une limite pour une série ou un cap à franchir. Je crois qu’il a été touché sans trahir ou dénaturer la série et qu’il a marqué une ouverture vers quelque chose d’un peu autre.
Je n’ai jamais compris pourquoi les fans de Chapeau melon et bottes de cuir sont demeurés si myopes, focalisant sur Emma Peel, au détriment des autres Avengers’ girls. Notamment de l’avant–dernière d’entre elles. Tara King est drôlement plus sexy qu’Emma Peel et je pense à un autre mot pour dire l’effet qu’elle provoque en moi, sa relation avec Steed est hyper sensuelle, et la série bénéficie de plusieurs années d’expérience. Et ça se voit ! Tara n’est pas la nunuche que certains voient en elle, même si cet épisode tendrait à prouver le contraire, il faut l’avouer ! Bien que ce ne soit pas le lieu d’opposer les mérites comparés d’Emma Peel et de Tara King, je pense qu’on ne lui rend pas assez justice. Voilà, c’est fait !
Souvent, les introductions des épisodes de la série mettent en présence une victime aux mains de bandits sadiques et la plupart du temps raffinés. C’est une constante de Chapeau melon, qui trouve une occasion de s’exprimer, une fois de plus, ici. Bien sûr, cela se termine toujours par la mort de la victime. L’important, je crois, est de poser un événement bizarre, une situation qui oblige le spectateur à se questionner, à supputer des choses folles, à trouver une raison, qui lui donne une irrésistible envie de savoir la suite. Quel rapport entre un briquet et la mort d’un homme ? Qui est–il ? Pourquoi ses assassins le tuent ainsi au lieu de le faire de manière plus conventionnelle ? En quelques minutes, on a le temps de se poser mille questions. C’est la force d’une bonne introduction, qui doit être un appât. Celle–ci est parfaite de ce point de vue.
La scène d’ouverture des épisodes entre Steed et sa partenaire est aussi un autre invariable de la série, ainsi que le «tag» ou «mot de la fin», qui est une expression qui est plus parlante que le mot anglais. Ces deux vignettes, rassurantes par leur présence itérative, en début et en fin d’épisodes, sont comme des rives entre lesquelles toutes les histoires les plus délirantes peuvent naviguer. L’originalité des diverses histoires est fondée et légitimée par cette structure répétitive, qui donne du sens aux choses qui en ont le moins ! L’invraisemblance et les élucubrations sont permises parce que la structure demeure la même, formellement. Le spectateur ne perd pas pied ou il sait parfaitement où il le met !
Sinon quoi de plus étrange que de se promener dans un appartement en ciré et d’essayer une arme à feu ? On remarquera, dans TOUS les épisodes de Chapeau melon, mais c’est aussi le cas dans d’autres séries, que la scène introductive reprend en miniature le thème qui va être développé dans l’épisode, de même, parfois, pour le «mot de la fin» (mais pas ici).
Néanmoins cet épisode, malgré ces invariants posés, tranche avec les autres. Il est construit d’après une architecture distincte. C’est à son avantage mais aussi à son détriment, car il n’est pas certain que tous les fans de la série puissent y trouver leur compte. Il est plus statique : l’histoire se déroule presque entièrement dans un lieu clos et il n’est pas construit entièrement en fonction des personnages récurrents que sont Steed et sa partenaire. Les vingt premières minutes de l’épisode se déroulent quasiment sans leur présence ! Nous avons pareillement l’impression d’assister à une pièce de théâtre filmée plutôt qu’à un épisode d’une série télévisée. Cette caractéristique donne un cachet à l’épisode.
L’atmosphère décrite et donnée à ressentir emprunte aux huis clos à la Agatha Christie. Cette touche britannique se retrouve à des degrés différents, selon les épisodes, mais est toujours présente. Agatha Christie est parfois sollicitée, avec discrétion, mais on ne peut s’empêcher de penser à elle. C’est ainsi qu’un des épisodes (Miroirs ou «All done with mirrors) tire son titre d’un roman de la reine du crime : They do it with mirrors traduit en français par Jeux de glace… Dans Noël en février, nous avons la campagne anglaise, le cottage cossu, la Rolls–Royce, le domestique, les parties de chasse… C’est tout un art de vivre à l’anglaise qui est peint. Et Steed fait partie de ce monde. Chacun de ses pores dit cette appartenance à une certaine classe.
Le nom des personnages véhicule un certain humour : Sexton signifie «sacristain» en anglais et «Bishop» (le nom de la demoiselle excentrique) «évêque», ce qui sous–entend des relations entre les personnages. «Bishop» aussi désigne le «fou» aux échecs. Elle porte bien ce nom car elle semble aussi toquée qu’Ola dans Ne vous retournez pas ou le Joker. Elle a beaucoup de points communs, dans son attitude, avec Ola. Elle joue la comédie, elle manifeste une hystérie et quelques obsessions qui en font un personnage très caricatural et intriguant. A–t–on déjà vu des femmes qui dépensent tout leur argent pour se faire refaire «des» nez ? Ses yeux charbonneux, Ses yeux charbonneux, maquillés exagérément, sont dans le ton de l’époque. Sa jouissance sadique nous fait penser à une chatte jouant avec une proie avant de la tuer. Sa jouissance sadique nous fait penser à une chatte jouant avec une proie avant de la tuer. La scène de l'opération, sur une table de salle à manger, avec des fleurs et une coupe de fruits en premier plan est à la fois terrifiante et humoristique. Circé est une femme enfant qui joue au docteur, avec la cruauté et l'inconscience d'un bambin. On pourrait dire la même chose, en pire, de Lomax, qui est un sacré maboul. Circé est son prénom. C’est aussi le nom d’une magicienne célèbre, très connue des lecteurs d’Homère… Steed lui explique que Circé, son homonyme, avait le pouvoir de changer les hommes en bêtes… Ce n’est pas forcément flatteur pour elle. Sexton, quant à lui, porte des lunettes de soleil comme le visiteur de Cathy Gale dans Ne vous retournez pas. De même, l’usage du fauteuil à bascule par ce dernier rappelle encore Le joker. Noël en février fait décidément une sorte de jonction entre plusieurs saisons. À ce sujet, il n’est pas faux de lui trouver la patte des épisodes avec Cathy Gale ou avec le Docteur Keel. Hé oui ! Dans la saison un, deux et trois, l’intrigue a toujours plus ou moins pris le pas sur les personnages, comme c’est le cas ici. La personnalité des bandits fait aussi davantage songer à ceux des premières saisons. Tom Adams (Grenville) a participé à deux épisodes de la saison un et Robert Fuest, le réalisateur, a également travaillé sur les premières saisons, dont les épisodes avec Tom Adams (en tant que décorateur). Donc, rien d’étonnant.
Le rythme très lent et la révélation très progressive des nombreux mystères contribuent à éveiller un malaise. On se croirait presque dans un épisode de La quatrième dimension, lorsqu’on s’aperçoit que le trio qui s’installe chez un couple de gens parfaitement bien élevés (les Basset) est inconnu de ces derniers, car au départ cette intrusion donne l’impression d’être attendue ! De même, lorsque Steed aperçoit le pansement dans le cou de Laura, le malaise qu’il ressent est celui des personnages embringués dans des histoires bizarres ou surnaturelles. Tout est normal à un détail près ! Les yeux de Steed se décillent lentement ; la révélation est échelonnée. Le spectateur, lui, bout. Noël en février joue sur plusieurs tableaux : le suspense des intrigues policières et une pincée de mystère.
Le passage où Circé anesthésie et opère le maître de maison et le domestique est grandement effrayant ! D’autant plus qu’il est suggéré ! L’imagination fait son miel de ce genre de non–dits ! Cette scène est épatante ! Elle m’a fait froid dans le dos. Rien de tel que cette violence non violente pour faire dresser les cheveux sur la tête ! Le caractère bien trempé de Grenville contribue à cette "noblesse de la violence".
L’idée de la prison intérieure est exploitée avec beaucoup de tact. Les plans filmés du sol qui montrent le cadavre du Sergent Groom qui a essayé de s’enfuir, et qui se placent à son niveau, puis les têtes qui le dévisagent, sont excellents. J’ai imaginé, un instant, être dans un film du genre du Limier de Mankiewicz ! Il y a une once d’humour macabre très british, sans pour autant que l’atmosphère très dramatique soit déflorée. Ces plans l’expriment mais aussi les mots de Grenville qui déclare au couple qu’il tient leur vie entre ses mains. C’est vrai au sens propre et figuré, puisque le briquet télécommande leur mort à distance.
Or, comme dans tout bon huis–clos qui se respecte, la solution ne peut venir que de l’extérieur : Steed arrive, afin de fêter Noël en février, selon un rite qu’il a établi avec ses amis. Il incarne en quelque sorte le personnage du détective dans les romans et pièces d’Agatha Christie qui surgit, après coup, innocent de la situation dramatique qui se joue dans son dos.
Steed et Grenville sont deux gentlemen, chacun dans leur genre. Grenville est un personnage extrêmement séduisant, très affecté, qui ne supporte pas «l’hystérie chez un homme». Et chez une femme comme Circé ? Lui et Steed se livrent à une compétition culturelle, musicale plus précisément. On appréciera les réponses fantaisistes qui fusent… Ce duel verbal permet aux deux hommes de se mesurer avant un affrontement plus direct ; elle fait ressentir au spectateur la tension qui existe entre ces deux hommes. Cette idée scénaristique est très bien mise en œuvre. Steed est évidemment le plus fort et cette joute entre les deux adversaires du meilleur effet. Toutefois, lorsqu’il essaie plus tard de piéger Grenville avec un tableau de Renoir qu’il prétend être de Monet, il se fait prendre à son propre piège.
L’épisode est conduit assez nerveusement et cette impression n’est pas abolie par la connaissance que nous avons de l’issue de l’épisode. Le suspense règne en maître. Steed et Grenville entretiennent un langage à double sens : aucun des deux n’est dupe. L’usage du mot «gibier» dans la bouche de Grenville est particulièrement savoureux. Chacun sait que l’autre sait, mais l’équilibre de la terreur ne peut être rompu, car tacitement les deux hommes jouent au «comme si» de rien n’était. La scène la plus réussie sous cet angle est le moment où Steed découvre le cadavre du Sergent Groom dans le coffre et que Sexton, Lomax et Grenville arrivent dans son dos !
Steed, qui n’a rien d’un romantique, se laisse volontiers draguer par Circé qui le met en garde contre Grenville ? Est–elle séduite par notre avenger ? Elle aimerait l’opérer. Le toucher ? Elle semble jouir de choses peu ragoûtantes. En tout cas, dès cet instant notre héros est sur le pied de guerre, ayant eu la puce à l’oreille.
La partie de chasse entre Grenville et Steed prend des allures de Chasses du comte Zaroff. La référence est évidente. Le sadisme du trio des bandits est à son acmé dans toute cette partie. L’astuce de Steed pour faire croire à sa mort est extra ! Sa ruse finale : coller une bombe miniature sur le coup de Grenville au moyen d’un lance–pierre miniature également. Sauf que la présence providentielle de ce pot de colle est peu plausible !!! Un deus ex machina, oui, mais un peu de crédibilité tout de même !!! D’autant plus que l’étiquette de la colle dit qu’elle «convient au bois, au verre, au plastique et au métal», pas obligatoirement à la peau humaine.
En parlant de vraisemblance, on se demande pourquoi Grenville se précipite sur Sexton, qui détient le briquet. Il n’a sûrement pas l’intention de le faire exploser ! Cette attitude hystérique ne cadre pas avec le caractère qu’il a montré tout au long de l’épisode. Réaction de mauvais aloi.
Le mot de la fin est très drôle et farfelu : John Steed et Tara King jouent au golf invisible et Tara brise un carreau avec une balle imaginaire ! Cette scène a une autre fonction : les Avengers ne s’inscrivent jamais dans la réalité pure et dure. L’imagination et l’humour sont les deux moyens de ne jamais sombrer tout à fait dans le drame, le sérieux ou le tragique.
En conclusion. Un épisode surprenant, voire déroutant, qui se démarque très nettement des autres. Un ennemi, qui a beaucoup de classe, qui ne se départ jamais de son sourire en coin, voici un adversaire de taille pour le gentleman au chapeau melon. L’humour très noir, plus noir que de coutume (par exemple : l’onomatopée, le BANG ! découpé dans le journal qui se superpose au son du revolver de Grenville lorsqu’il tire sur Steed… Elément qui est peut–être un clin d’œil à Clowneries et à la saison précédente : Le vengeur volant…) donne un ton très dramatique.
Steed est blessé (et décoiffé !), en situation d’extrême faiblesse : un véritable traumatisme pour les fans !
On a l’impression que Steed et Tara s’invitent dans une histoire qui ne les concerne pas vraiment. Ce n’est pas tout à fait leur univers. Episode dépaysant. Les rares extérieurs filmés sont très beaux et j’ai beaucoup aimé, dans la scène qui précède le titre de l’épisode, le plan à l’intérieur de la Rolls, lorsqu’on voit le paysage défiler à travers le pare–brise. On s’y croirait ! Les décors de la maison des Basset sont très luxueux et originaux.
Les profanes et les fans aimeront ou bouilliront de rage devant ce rythme un peu lent, bien que tendu, qui est pourtant en harmonie avec le thème. La musique est tellement modeste qu’on l’entend à peine. Elle ne sert pas beaucoup l’intrigue ; c’est un gros point faible. D’un autre côté, il est peut–être plus méritoire de ne pas s’en servir et de laisser reposer toute la force de l’intrigue sur le jeu des acteurs et les dialogues. Pour le reste, c’est un épisode très bien construit, même si l’argument est archi rebattu dans les films et les séries, et si le traitement demeure conventionnel. Mais j’ai déjà dit plus haut tout le bien que je pensais de cet épisode ! Les petits bémols sont compensés par toutes les qualités déjà énumérées. |
Steed répondant à Grenville qui lui demande ses occupations : «I dabble in.» [Je suis un dilettante.].
Avant la partie de chasse : Grenville : «May the best man win !» [Que le meilleur gagne !] , Steed : «Thank you ! I attend to.» [J’en ai bien l’intention.],
Grenville : «Goobye mister Steed.» [Adieu, M. Steed.]
Grenville : «Circe developed them and a method of using them, she's really terribly clever.» [Circé a developpé un procédé pour les utiliser. Elle est réellement très intelligente.], Circe : «Yes I am. I'm terribly clever. I've got an IQ of… well I've forgotten but it's terribly high. It's nice to be nearly a genius when you are as pretty as I am.» [Oui, je suis très intelligente. C’est formidable d’être presqu’un génie et d’être aussi jolie que je le suis. J’ai un Q.I. de… Hé bien, j’ai oublié, mais il est très élevé.]
Tara : «That’s typical of Steed. A telephone ringing is like a gun going off for him.» [C’est tout à fait le genre de Steed. Un coup de fil est comme un coup de feu pour lui.] |