The Avengers reviennent en 1965 dans une formule complètement nouvelle. Finis les enregistrements en vidéo, la série est désormais filmée en 35 mm noir et blanc. La production a complètement changé, l'ancienne équipe ne connaissant rien en matière de réalisation de film. Seul Brian Clemens est toujours présent et un nouveau team, composé de Albert Fennell et Julian Wintle, est aux commandes. Macnee se voit offrir un poste de producteur éxécutif, mais les costumes cravates l'écartent rapidement, et menacent de le virer s'il demande une augmentation, au profit de quelqu'un de «plus jeune et plus mince !». Tant bien que mal, Macnee obtient a la place 2,5% des bénéfices de la série. Ce n'est pas grand chose, mais c'est mieux que rien !
Une actrice est choisie pour interpréter la nouvelle partenaire de Steed. C'est Elisabeth Shepherd alias Emma Peel (de l'expression M (pour Men)–appeal). Malheureusement, l'alchimie avec Macnee ne fonctionne pas. «Elle avait un tros gros derrière» explique Macnee, «et elle était aussi vraiment trop sérieuse, je me retrouvais à être le seul à faire l'idiot». Shepherd quitte la série au bout d'un épisode et demi, et c'est Diana Rigg qui la remplace. On ne peut rêver plus différent. Alors que Shepherd était blonde, Rigg est rousse. Mais Rigg ressemble à une version soft de Cathy Gale, de quoi donner le change au public, qui attend la nouvelle actrice au tournant. Le soir du premier épisode, Voyage sans retour, tous les anglais sont rivés à leur écran, prêts à lui faire sa fête. On connaît la suite ! Par miracle, le rapport Rigg / Macnee est encore meilleur que celui de Blackman / Macnee, bien qu'il soit entièrement calqué dessus, ce que les spectateurs français, qui ne connaissent les Avengers qu'à partir de cette saison, ignorent complètement. Cette fois, c'est l'explosion. Les producteurs sombrent dans l'hystérie créatrice. Les Avengers, qui en France deviennent Chapeau melon et bottes de cuir, se transforment en véritable théâtre de l'absurde. Pratiquement tous les aspects de la vie anglaise vont y être parodiés. Les institutions sont décrites comme des repaires d'excentriques fous à lier. Les combats sont maintenant chorégraphiés par Ray Austin, un ex–docker, cascadeur à Hollywood à ses heures perdues, repêché dans les bas–fonds de l'east–end, et expert en arts martiaux inconnus. C'est lui qui montrera à la télévision européenne pour la première fois un personnage faire du kung–fu… Emma Peel ! Sous la supervision de Austin, et avec le passage au film 35 mm, la violence de la série va devenir plus théâtrale, poussée à la dérision par son effarante inoffensivité. Jamais de sang, mais de nombreux morts par épisodes, sans impact de balles, c'est aussi la règle, lorsqu'ils se font tuer. Un choix qui n'est pas étranger à Macnee. Ce dernier, rescapé de la seconde guerre mondiale, a vu tous ses camarades de bataillon se faire atrocement tuer. Pour lui, la violence réaliste sur le petit écran est à éviter, et l'unique moyen de traiter la mort n'est pas avec sérieux, mais avec humour. En fait, la philosophie de la vie de Macnee, dont Steed n'est qu'une version fantasmée de lui–même, agit comme une ancre autour de laquelle la série évolue et se reconstruit de saison en saison. Macnee est John Steed, et John Steed est Macnee ! Brian Clemens l'a compris, et ne fait que se servir de ce personnage absurde (il porte le chapeau melon et parapluie en toute circonstance, qu'il pleuve ou qu'il fasse beau, à l'intérieur comme à l'extérieur), comme d'un conducteur autour de qui se construit le contexte global des Avengers. Pour renforcer l'impression d'irréalisme, Clemens énonce donc quelques règles élémentaires : pas de figurants, pas de personnages de couleur, pas d'enfant, pas de sang, pas de femme se faisant tuer… Le couple Steed / Peel évolue dans cet univers comme un poisson dans l'eau. Immense succès mondial, les Avengers passent donc bientôt à la couleur, pour une seconde saison avec Emma Peel en 1967. Bientôt, face à la vague d'espionnite aiguë qui envahit les grands et petits écrans, Chapeau melon se met à parodier aussi les productions concurrentes. Titres d'épisodes, allusions ou même épisodes complets prennent pour cible Batman, Mission… impossible ou Man from uncle, et les tournent en dérision. Tout ceci ne semble cependant pas plaire aux costumes–cravates de ABC, la chaîne qui produit la série. Ils regardent ce succès avec dédain et envie. Ils ont la haine. Même la très lucrative vente de la série aux USA n'y change rien, et on cherche dans les coulisses un moyen de faire un coup d'état sur la série. Les premiers signes sont visibles dans les journaux de l'époque. Diana Rigg, par exemple, demande à toucher un salaire convenable ! On alerte la presse, et on la fait passer pour une prima–donna, alors qu'elle touche moins que le caméraman ! La série rapporte, mais son budget ne suit pas vraiment la spirale ascendante. Les exécutifs harcèlent Brian Clemens de mémos, critiquant l'irréalisme de la série, et son aspect humoristique. «Chapeau melon est une série faite d'idées cheap, inférieure à Des agents très spéciaux», écrira même un sinistre larron dans un mémo. Ce dernier ose même ajouter qu'il faudrait que Clemens en prennent de la graine !
Malgré les efforts de Macnee, qui est son seul ami sur le plateaux de tournage, Diana Rigg, exaspérée par cette attitude, décide de suivre elle aussi les traces de Honor Blackman, et s'en va au terme de sa seconde saison séduire James Bond, alias George Lazenby, dans Au service secret de sa Majesté.
Du côté d'ABC, on saisit la balle au bond, et on vire en ricanant les producteurs, Albert Fennell, Brian Clemens et Julian Wintle ! Les producteurs de la série vidéo sont appelés en remplacement. Les costumes–cravates semblent bien décidés à s'emparer de la poule œufs d'or, et s'attribuer le crédit de sa réussite. Macnee, catastrophé, songe un instant lui aussi à partir, mais la pensée qu'un autre joue John Steed, son personnage, lui–même, à sa place, est insupportable. Il grince les dents et reste, après avoir suivi une cure d'amaigrissement, sa bedaine commençant à pointer sous les costumes ! Côté casting, un autre personnage féminin fait son apparition.
David Fakrikian |